Introduction

Pendant de nombreuses années, sous la présidence efficace de Joseph Hanse et avec le soutien du Conseil international de la langue française1, les membres belges2 de cet organisme se sont réunis régulièrement à Bruxelles pour préparer un inventaire des particularités lexicales du français en Belgique. Le présent ouvrage est le résultat de ces travaux.
Notre dessein est purement descriptif. Nous relevons, sans porter de jugement, aussi bien des dénominations officielles comme bourgmestre, que personne ne s’avise de critiquer, que des emplois suspectés d’incorrection, comme certains emprunts aux dialectes romans ou flamands.
Nous ne parlons ni de l’histoire ni de l’origine des faits décrits, même quand ils ont été l’objet d’études ou quand certains d’entre nous disposent d’une documentation à ce sujet.
1 Voir déjà la brochure préparatoire publiée en 1977 : Régionalismes lexicaux de Belgique. Premier inventaire, Paris, Conseil international de la langue française, 33 pp. (lettres A, B, C).
2 Outre Maurice Grevisse, Joseph Hanse et Jacques Pohl, décédés, le premier un peu après le début de l’entreprise, le deuxième peu avant l’achèvement et le troisième peu avant la publication : Willy Bal, Albert Doppagne, André Goosse, Michèle Lenoble-Pinson, Léon Wamant.

La nomenclature

Cet ouvrage est un lexique alphabétique de mots jugés remarquables, soit en eux-mêmes, soit par leur signification, leur construction, les locutions où ils entrent, etc. Notons que les significations données comme régionales n’excluent pas nécessairement la présence en Belgique des sens appartenant au français commun.
La syntaxe n’intervient que dans la mesure où elle concerne des mots particuliers. Pour la prononciation, voir ci-dessous.

Les sources

Nous avons vérifié et complété les listes antérieures, notamment par la consultation des dictionnaires français et de nos fichiers personnels, ainsi que par diverses enquêtes et par certaines communications particulières.
Nous ne nous dissimulons pas que des enquêtes systématiques corrigeraient et surtout enrichiraient les données que nous fournissons. Nous souhaitons la collaboration de nos lecteurs en vue d’une seconde édition.

L’orthographe

Les mots régionaux sont écrits selon les règles ordinaires de l’orthographe française, même quand elles contredisent la prononciation courante en Belgique (voir ci-dessous). Cependant, quelques mots bruxellois empruntés du flamand ont une graphie traditionnelle, empruntée elle aussi ; la prononciation est alors nécessairement indiquée.

La prononciation

Nous n’avons pas relevé les mots qui se distinguent uniquement par la prononciation, comme tranquille [tRâ :ki :j]. Mais, pour les mots retenus à d’autres titres, nous indiquons la prononciation entre crochets selon l’alphabet de l’Association phonétique internationale (voir plus loin), quand nous croyons que le lecteur, surtout étranger, pourrait avoir un doute sur la forme orale du mot. Cependant, nous n’avons pas indiqué chaque fois ce qui provient des tendances plus ou moins (selon les lieux et selon les attitudes socioculturelles) générales de la prononciation en Belgique. Nous croyons utile de relever succinctement les principales ci-dessous3, dont trois traits plus localisés.
3 Pour plus de renseignements, voir L’Orthophonie française. Conseils aux Wallons, 2e édition, Liège, 1969. — Nous ne cherchons pas à décrire le système phonétique ou phonologique. De ce point de vue, Jacques Pohl a regroupé, sous le titre L’ourse brun pâle est enrouée (dans Questions de français vivant, n° 9, 1er trimestre 1986, pp. 14-16), les traits qui, présents chez la plupart des Belges, quelles que soient leur origine géographique, leur classe sociale ou leur formation, constituent l’essentiel de l’accent belge : [luRs bRîpa :] s’oppose à [luRsa bRË pal (ou pal) e tÜRwe].
  1. Les voyelles sont souvent articulées avec une tension musculaire moindre qu’en France. C’est ainsi que les voyelles non accentuées prononcées [e] et [o] en français normalisé ont tendance à s’ouvrir : téléphone [tèlèfòn], notion [nòsjô] ; même à Bruxelles, quand on a la graphie au : saucisse [sòsis]. Dans diverses régions, on ouvre i et u accentués : petite [p∂tœt], parfois même [p∂tèt].
  2. Beaucoup de voyelles sont prononcées longues ou plus longues qu’en France : aime [ê :m] (ou [è :m] : cf. 11°), pigeon [pi :ƒô] dans la Wallonie orientale, usine [y :zin] ailleurs. La longueur permet d’opposer des homonymes, notamment le masculin et le féminin à la finale : nu [ny] et nue [ny :] (pour les locuteurs qui n’ajoutent pas un [w] : cf. 5°) ; voir aussi 3°.
  3. Les Belges ne distinguent pas le [a] palatal de patte du [a] vélaire de pâte. Ils utilisent seulement un [a] moyen, souvent long quand il correspond à un [a] vélaire du français normalisé : ils distinguent ainsi patte [pat] de pâte [peut]. Dans l’ouest du Hainaut, l’unification des deux a se résout souvent en [a].
  4. Les mots brun [bRû] et brin [bRî] restent distincts.
  5. Le o final ou suivi d’une consonne muette finale est prononcé ouvert et non fermé : tango [tâgò], sot [so],
  6. Une semi-consonne est introduite entre les voyelles en hiatus, [j] après [e] ou [i], [w] après [y] ou [u] : créer [kRe :je] ou [kRêje], lier [lije] (jamais [lja]). nouer [nuwa] (jamais [nwa]). Un phénomène analogue apparaît à la finale devant l’e dit muet : je crée [kne :j] ou [kR£j], plus populaire je noue [nuw] ou [nu :w],
  7. La semi-consonne [µ] est ignorée ; elle est remplacée par [w] devant [i] et par [y] ou [yw] devant une autre voyelle : fuir [fwi :R], suer [sye] ou [sywa].
  8. Les consonnes finales normalement sonores sont assourdies : drève [dR£ :f], dose [do :s] ; de même après la chute de [r] ou de [1] : apprendre [apRCt :t], table [ta :p],
  9. Dans les groupes ti, di suivis d’une voyelle, le i, qui se consonifie en [j] en France, palatalise le t et le d, qui deviennent des affriquées, respectivement [tj] ou [d^j comme dans la prononciation italienne de ciao ou de Giacomo : tiède [tje :t], dieu [dj0].
  10. Dans la Wallonie orientale, l’h aspiré (que les phonéticiens appellent fricative laryngale sourde) subsiste comme phonème : haie [hej],
  11. En Wallonie occidentale, dans le nord de la Wallonie centrale et à Bruxelles, parfois ailleurs, [e] et [œ] se nasalisent devant une consonne nasale : peine [phn], jeune [ ;yœ :n].
  12. Les néerlandophones de Bruxelles et, naturellement, du pays flamand conservent, quand ils parlent français, divers traits de leur langue maternelle, surtout pour les mots empruntés à celle-ci, mais parfois aussi dans d’autres cas. Même les francophones prononcent à la flamande des mots empruntés à d’autres langues que le néerlandais, par exemple sans nasaliser les voyelles ; gang [gaqk].

La localisation

Si la localisation n’est pas indiquée, le fait s’étend à la Belgique entière. Sinon, les précisions sont les suivantes (du plus général au particulier). Voir aussi la carte en annexe.
  1. La Belgique est divisée en trois régions : Fl. = Flandre, région qui se rattache au domaine linguistique néerlandais et donc peu présente dans notre inventaire ; Wall. = Wallonie, région qui se rattache au domaine linguistique français ; Brux. = région de Bruxelles, officiellement bilingue, mais où les francophones sont aujourd’hui majoritaires.
    On devrait prévoir, en principe, une dénomination pour la petite région de l’est qui appartient au domaine linguistique allemand (cantons d’Eupen et de Saint-Vith, villages de l’arrondissement d’Arlon et quelques autres) ; mais celle-ci n’a pas fait l’objet d’une enquête.
  2. Nous divisons la Wallonie en quatre : la Wallonie occidentale (ouest et centre de la province de Hainaut), correspondant grosso modo au domaine du dialecte picard4 ; la Wallonie centrale (est du Hainaut, Brabant wallon, province de Namur, nord de la province de Luxembourg), correspondant au domaine du wallon namurois et de l’ouest-wallon (ou wallo-picard) ; la Wallonie orientale (province de Liège), correspondant au domaine du wallon liégeois ; la Wallonie méridionale (centre et sud de la province de Luxembourg), correspondant au domaine du sud-wallon (ou wallo-lorrain) et du lorrain.
  3. Pour la Wallonie, nous citons aussi les provinces : Hainaut, Brabant wallon, Namur, Liège et Luxembourg ; et les régions : Borinage, Entre-Sambre-et-Meuse, Condroz, Hesbaye, Gaume (où le dialecte est lorrain).
  4. Quand des villes sont mentionnées, il s’agit ordinairement de la région dont elles sont le centre. Les emplois attestés dans une zone très restreinte ne sont d’ailleurs pas retenus, en principe.
4 Cf. L. REMACLE, La géographie dialectale de la Belgique romane, dans Les dialectes de France au Moyen Âge et aujourd’hui, Paris, 1972, pp. 311-335.
Ces diverses localisations ne seront pas prises à la lettre : les Wallons installés à Bruxelles ne perdent pas leurs habitudes linguistiques ; des particularités dites bruxelloises sont souvent en usage dans une partie du Brabant wallon, etc. ; d’une manière générale, il n’est pas fréquent que l’extension d’un fait lexical coïncide exactement avec une région administrative ou naturelle ou même avec une aire dialectale.
Nous avons renoncé à indiquer si le mot ou l’emploi se trouvait dans d’autres pays (comme en Suisse ou au Québec). Nous avons fait exception pour la France, selon l’information des rédacteurs, sous la formule « connu aussi en France », plus rarement « n’est pas inconnu en France », ce qui présente l’attestation comme sporadique ou nettement localisée.

Les marques d’usage

Nous avons exclu les mots paraissant sortis de l’usage. Pour d’autres, nous avons indiqué qu’ils sont vieillis, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus guère usités que dans les générations nées avant 1935. Nous sommes conscients que les transformations de la vie individuelle, sociale et économique (mécanisation de l’agriculture, fermeture des charbonnages, etc.) menacent l’existence de plus d’un mot que nous avons retenu.
Il aurait été utile d’indiquer chaque fois le niveau et le registre. Tâche difficile que nous n’avons réalisée que partiellement. Nous avons renoncé à parler d’emploi familier : tel terme qu’un intellectuel prononce consciemment dans le discours quotidien et qu’il encadre en quelque sorte de guillemets est, pour d’autres usagers, tout à fait naturel. Nous n’avons utilisé que pour Bruxelles cette étiquette, ainsi que celle de populaire (pour des faits touchant plutôt à la syntaxe). Dialectal caractérise ce qui ne s’entend que dans la bouche de Wallons peu scolarisés. Nous avons d’ailleurs gardé peu de mots ressortissant à cette catégorie, quoique le recul du dialecte, notamment en Gaume, estompe la frontière entre le dialecte et le français régional. Les faits de cette espèce devraient être consignés dans des monographies décrivant le parler d’une localité.
À l’opposé, le signe ° distingue les mots que l’on trouve dans des textes administratifs officiels ; certains ne sont pas connus de l’usager moyen. Mais nous n’avons pas prévu d’indication particulière pour les autres mots attestés dans des écrits comme les journaux.
Nous avons précisé quand les mots ou emplois sont propres à des milieux particuliers, comme l’argot étudiant ou scolaire pour lequel nos relevés cherchent à être complets ou comme le vocabulaire juridique ou encore comme le vocabulaire technique des métiers. Des indications comme « en menuiserie » concernent des mots généralement ignorés du lecteur ordinaire. Notre inventaire de ces termes de spécialistes ne prétend pas à l’exhaustivité.

Les exemples

Les exemples sont là pour que le lecteur se rende compte de la façon dont le mot est employé, lorsque la définition ne suffit pas. Nous les avons forgés nous-mêmes, en nous inspirant parfois d’attestations écrites ou orales.